15/10/19

Crédit immobilier : l'endettement des ménages inquiète les autorités financières

La production d'emprunts immobiliers tourne à plein régime, et les ventes s'envolent, dépassant en août le million de transactions sur un an, un nouveau record historique. Cette France de propriétaires à crédit met en alerte les autorités qui viennent de publier un diagnostic sur les risques potentiels liés à cet emballement immobilier.

Des taux d'intérêt qui encouragent l'endettement

Dans une note publiée le 1er octobre dernier, le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) livre son diagnostic des risques dans le secteur de l'immobilier résidentiel, risques qui pèsent à la fois sur les ménages et sur les banques. Sans vouloir être alarmiste, l'institution met en garde contre des pratiques d'octroi des financements plus assouplies dans un contexte marqué par un niveau exceptionnellement faible des taux d'intérêts et une hausse, certes hétérogène, des prix des logements, auxquels s'ajoute une rentabilité médiocre pour les établissements de crédit. 

Selon la Banque de France, sur un an à fin août, la production de crédits à l'habitat a progressé de 6,5% en nombre de prêts (renégociations incluses). En novembre 2018, les encours ont dépassé le cap des 1 000 milliards d'euros et battent, depuis, un nouveau record à chaque mois. On apprend en parallèle que l'endettement du secteur privé (ménages et entreprises non financières) représentait 133,2% du PIB hexagonal au premier trimestre, soit une hausse de près de 5 points sur un an. C'est le niveau le plus élevé parmi les grands pays de l'UE, premier devant l'Allemagne (92,4% de la richesse nationale). Ce recours massif au crédit que certains comparent à un poison lent attise l'inquiétude des autorités. En cas de retournement de la conjoncture, à commencer par une remontée des taux, ce haut niveau d'endettement présente des risques majeurs pour les particuliers et l'économie en général.

Le crédit immobilier, outil de séduction des banques

Ce n'est pas nouveau, mais au regard du contexte actuel, cette orientation prend une toute autre ampleur. Pénalisées par les taux de dépôt négatifs et par la faiblesse des taux obligataires, les banques n'ont d'autre choix que de prêter aux particuliers (et aux entreprises). La politique monétaire de la Banque Centrale Européenne les encourage, pour ne pas dire les oblige, à financer les projets pour huiler la machine économique par des liquidités abondantes qu'elles n'ont guère intérêt à placer sur les dettes souveraines, entrées en territoire négatif depuis juin dernier. Peu rentable mais sans grand risque pour les banques (0,17% d'encours impayés), le crédit immobilier est un produit d'appel qui permet de capter le client sur le long terme, le temps de lui vendre d'autres produits financiers plus rémunérateurs.

Conditions d'emprunt assouplies

Le HSCF insiste sur l'augmentation de pratiques a priori "risquées", en particulier l'allongement des durées d'emprunt et la réduction de l'apport personnel, qui pourraient, à court ou moyen terme, avoir des conséquences pour les ménages et les banques. Selon l'Observatoire Crédit Logement/CSA, le niveau moyen de l'apport personnel a chuté de 20% entre fin 2014 et juin 2019. Cette politique favorise les jeunes acquéreurs, le plus souvent sans épargne. À la faveur des taux bas, voire très bas (taux moyen toutes durées confondues à 1,17% en août 2019), les accédants peuvent emprunter sur des maturités plus longues, 25, 30 voire 35 ans. Autre donnée de l'Observatoire Crédit Logement, en août, 42,7% des prêts ont été accordés sur 25 ans et plus contre 14% en 2014, amenant la part des durées longues au niveau le plus élevé jamais observé.

Si elle booste la demande, la faiblesse des taux tire aussi les prix immobiliers vers le haut. Bien qu'hétérogène à travers le territoire, l'évolution des prix dans l'ancien atteint +9% entre le premier trimestre 2015 et le premier trimestre 2019, se concentrant principalement dans les grandes agglomérations comme Paris (+22,5% sur le prix des appartements anciens à Paris, +11,3% dans la petite couronne), Lyon (+26,5%), Bordeaux, Nantes, Rennes ou encore Toulouse. Le HSCF n'y voit aucun "signe clair de surévaluation", le niveau des prix s'expliquant par le prisme des conditions exceptionnelles de financement. En revanche, en dépit de taux bas, la part des revenus consacrée au remboursement de la dette repart à la hausse et devrait continuer si cette dynamique perdure. Étant donné qu'il y a peu de risque que les taux baissent encore ou que les durées d'emprunt s'allongent, la progression de l'endettement des ménages est source d'inquiétude pour leur solvabilité.

Des mesures de protection

Les banques sont elles sous la menace d'une "profitabilité dégradée des crédits à l'habitat". Une nouvelle vague de renégociations des crédits pourrait fragiliser le secteur, pénalisant encore plus la rentabilité des établissements, même si la probabilité d'un tel scenario est minime étant donné que les prêts récemment émis ont bénéficié de taux plancher. Les autorités françaises ont d'ores et déjà pris des mesures pour juguler le risque comme l'instauration d'une charge supplémentaire de fonds propres de 0,5% des actifs au lieu de 0,25% à partir d'avril prochain. À l'échelle européenne, la situation est prise au sérieux. En septembre dernier, le Comité Européen du Risque Systémique (CERS) a pointé la vulnérabilité de l'immobilier résidentiel de 5 pays dont la France. Notre pays a toutefois les moyens de résister à la pression : la sélection des emprunteurs, notamment par un taux d'endettement maximum à 33%, l'octroi de prêt majoritairement à taux fixes, l'assurance de prêt, le principe de cautionnement et la protection sociale (allocations chômage) créent des conditions sécurisantes pour l'éco-système du crédit.




Hervé Labatut

Par , le mardi 15 octobre 2019


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