La Banque de France s'inquiète du niveau d'endettement
Les taux d'intérêt très bas encouragent le crédit des ménages et des entreprises, une situation qui incite par ailleurs les investisseurs en recherche de rendement à prendre des risques. Ce contexte alerte la Banque de France sur le niveau d'endettement élevé, devenu le principal risque pour le système financier français.
Dans un rapport semestriel d'évaluation des risques du système financier français publié lundi 24 juin, la Banque de France (BdF) estime que les risques liés à l'endettement ont atteint un niveau élevé et pourraient même augmenter sur le prochain semestre. Dans la hiérarchie des risques financiers, ces risques sont classés en pole position, alors qu'ils figuraient en deuxième place durant la précédente évaluation de décembre 2018. Les risques de marché sont eux aussi estimés à un niveau préoccupant quasi équivalent, et leur évolution au cours des six prochains mois est assorti d'une "perspective en hausse". En cause, un environnement de taux faibles dans la zone euro.
Taux obligataires en territoire négatif
Retour sur un épisode inédit pour le secteur financier français. Le 18 juin, le taux obligataire sur 10 ans (OAT 10 ans) est passé sous 0%, ce qui signifie que les investisseurs de la dette souveraine française achetaient l'obligation plus chère que sa valeur faciale. Le rendement va donc être négatif, ce qui a une incidence sur les revenus nets des banques qui font des profits grâce à la différence entre les obligations d'État qu'elles achètent et leur propre dette, également entre les intérêts des crédits immobiliers qu'elles accordent et les intérêts qu'elles versent aux porteurs de livrets. Plus le taux obligataire s'approche de 0%, moins elles disposent de marge de manœuvre pour compenser en réduisant la rémunération de ces livrets. Les assureurs subissent la même problématique avec les contrats d'assurance vie. Pour les épargnants qui ont privilégié les fonds en euros et les livrets bancaires pour des raisons d'aversion au risque, cette situation est une mauvaise nouvelle. Elle incite en revanche les ménages et les entreprises à avoir davantage recours au crédit, un sujet qui préoccupe la BdF et Bercy.
Un endettement massif en France
En zone euro, l'endettement moyen des ménages et des entreprises atteint 119% du PIB. En France, il culmine à 132% (+45 points depuis 2000), soit le taux le plus élevé de tous les grands pays de l'UE. Déjà, début juin, le Haut Conseil de Stabilité Financière prenait "note de la progression des risques liés à l'endettement du secteur privé non financier, parallèlement à la poursuite de l'assouplissement progressif des conditions d'octroi de crédit, en particulier dans le domaine immobilier". En avril sur un an, l'endettement des ménages a progressé de 6,3%, celui des entreprises (non-financières) de 5,7%.
La BdF met donc en garde contre la tentation de s'endetter, mais avec le niveau actuel des taux d'intérêts des crédits (taux moyen toutes durées confondues à 1,29% en mai dernier selon l'Observatoire Crédit Logement), l'occasion est trop belle pour la laisser passer. Les courtiers en crédit anticipent d'ailleurs de nouvelles baisses dans les jours à venir en raison du récent reflux de l'OAT 10 ans. Les banques vont préférer prêter aux particuliers et aux entreprises, car le crédit demeure aujourd'hui plus rentable, même à ce faible niveau, que les dépôts auprès de la Banque Centrale Européenne. Ceci devrait attiser la concurrence interbancaire et pousser les établissements à baisser de nouveau leurs barèmes durant l'été. Comme le souligne Sylvie Goulard, sous-gouverneure de la BdF, ce n'est pas l'endettement en soi qui est mauvais, mais la charge à tendance à augmenter, puisque les taux sont très faibles, ce qui fait un peu oublier le remboursement en capital. Selon Yvan Odonnat, directeur général adjoint de la Stabilité financière et des opérations de la BdF, un quart des ménages reçoivent des crédits alors qu'ils sont déjà soumis à une charge d'endettement, intérêts et remboursement compris, la plus élevée.
Appel à la vigilance
S'il a pour vertu de soutenir l'économie, ce contexte de taux d'intérêt durablement bas, installé depuis 2010, fragilise les modèles d'activité des banques et des assurances, entraînant une dégradation de leur rentabilité, et donc de leur valorisation boursière dans un environnement de concurrence internationale accrue. Par ailleurs, le niveau élevé d'endettement des ménages et des entreprises, qui ne présente pas de risque financier généralisé à ce stade, contribue par sa hausse ininterrompue à une "fragilisation macroéconomique progressive et un affaiblissement de la résilience intrinsèque de l'économie française, alors que la capacité à mobiliser davantage de ressources publiques pour amortir de futurs chocs économiques et/ou financiers s'érode alors que la dette publique ramenée au PIB est à 98% en France, un niveau élevé, très supérieur au plafond de 60% établi dans le pacte de stabilité et de croissance européen".
Par Gerard Mihranyan, le mardi 2 juillet 2019